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Ne pas baisser les bras

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Ne pas baisser les bras

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« Il y a un Malien, un Afghan, un Tunisien, un Congolais, un Mauritanien, un Égyptien… »

Yacine me fait faire un rapide tour du monde de ses camarades de cours de français à la Régie de Quartier. Il y travaille comme agent d’entretien de voirie et entreprend de m’expliquer avec ses mots :

« Chacun a un niveau de français différent.

Moi je sais pas lire, je sais pas écrire : c’est un handicap pour trouver du boulot. Heureusement, on n’est pas des gens qui baissent les bras.

Je sais juste écrire mon nom et mon prénom. C’est pour ça que je suis rentré à l’école à la Régie. Je sais écrire en majuscules, mais je comprends pas comment tu écris attaché. Je parle-je parle-je parle, mais quand on me donne un papier, je sais pas lire, c’est bloqué ! Notre professeure est gentille, elle a commencé à écrire, elle montre tout, elle me dit : ‘Yacine, si tu comprends pas, tu me dis.’

Je suis venu d’Algérie avec ma femme, on était comme les blédards : on comprenait rien du tout ! J’ai été cinq ans à l’école, c’est tout. Quand je parle avec vous, je me trompe parfois, je dis pas : ‘Je parle avec vous’, je dis ‘Je parle avec toi.’ Nous, on comprend pas bien, c’est pour ça qu’on tutoie. Alors certains réagissent direct : ‘Hé ! Tu me connais, toi ?’

En Algérie, je travaillais dans l’agriculture, dans le déménagement, dans l’étanchéité sur les terrasses. En France, j’ai travaillé encore dans le bâtiment, et dans le ménage, dans la peinture et les encombrants, et aussi comme gardien d’hôtel : je faisais la plomberie, l’électricité… Je connais les bricoles.

À la Régie de Quartier, je travaille dans la rue, je fais les jardins, les bâtiments, les cours… Je ramasse les poubelles, j’utilise un chariot, la pelle, un balai, le sac poubelle, la pince… Je porte des chaussures de sécurité, et aussi le casque : derrière les bâtiments, les gens jettent les bouteilles et d’autres choses. Moi, j’ai ramassé deux bouteilles de vin : heureusement, c’était pas à côté de moi.

Aujourd’hui tout le monde est content : tu as vu la crèche à côté de la Régie ? J’ai nettoyé là-bas et deux dames sont venues, elles m’ont dit : ‘C’est propre !’ Une autre dame a dit : ‘T’as fait un bon boulot !’ J’ai dit : ‘Merci Madame !’

Y a des gens, j’ai pas envie de leur parler. L’autre fois, y a une dame avec son chien, je lui ai dit : ‘Madame, il faut ramasser.’ Elle m’a dit : ‘Et toi, tu fais quoi ici ?’ Y avait la merde de chien… J’ai même pas calculé sinon on va crier. Je cherche pas les problèmes : je travaille ici et ensuite je rentre à la maison… Y a des gens ils sont bien, d’autres ils sont mauvais. Y a des gens qui parlent, y a des gens qui parlent pas. Moi je dis bonjour à tout le monde, filles, garçons, vieux… Et les gens me répondent : ‘Bon courage, bonne journée’.

Après quand je commence le travail, je regarde pas les gens : je regarde mon boulot. Ah ouais ! Y a pas de réclamation ! Je fais le travail, je le fais bien. Quand tu te réveilles le matin, tu vas travailler, c’est pas pour dormir.

Quand tu reviens après un week-end – le samedi et le dimanche, on travaille pas – tu trouves la rue, tu peux même pas parler ! Il y a les cartons, les sacs poubelles… ta-ta-ta-ta !

Le directeur est venu avec le chef d’équipe, il plaisante, il a dit : ‘Yacine, il fait pas le boulot !’ J’ai dit au directeur : ‘Écoute directeur, cet après-midi, on va manger par terre !’ On a rigolé !

À la Régie, on est comme une famille, c’est déjà ça. Le chef d’équipe, il est pas derrière toi pour te dire ‘Allez vas-y, vas-y, vas-y !’… Je respire. Et quand quelqu’un, il a besoin d’aide, tout le monde va l’aider. » 

Rencontre réalisée en mars 2019

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