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Il faut se battre

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Il faut se battre

« ‘Je suis Karaba, la femme de Kirikou : mes fétiches voient tout, y compris tes bêtises !’ Voilà comment je me présente aux enfants.

Je suis Responsable Éducative Ville suppléante. Je prends particulièrement plaisir à élaborer des projets pour que chaque enfant trouve sa place dans notre société. Je suis également entraîneur sportif.

 

Je réinvente toujours les jeux : les enfants se les approprient et ça leur donne envie de s’ouvrir à autre chose. Dans un quartier où il y a plein de nationalités, la balle américaine va devenir malienne, chinoise, ou italienne. Un garçon qui n’a pas envie de faire du sport va devenir le capitaine de l’équipe, pour lui donner le leadership. Un but marqué par une fille en vaut deux : les garçons vont se démener pour qu’elle marque et quand elle y arrive, c’est la championne du monde !

 

Même quand tu perds, si tu sais que tu es à 100 % dans ce que tu fais, tu peux être fier.

 

Moi-même, je suis toujours fière de mon parcours sportif jusqu’en Nationale 2 même si je ne suis pas passée par le statut professionnel. Le basket m’a apporté de très belles rencontres.

J’entraîne les filles de 7 à 10 ans pour qu’elles accèdent à la section sportive du Paris Basket 18, l’élite du basket féminin parisien. Des filles comme Olivia Époupa, meneuse de l’équipe de France, Touty Gandega de l’équipe du Mali, Diaba Konaté et bien d’autres sont passées par ce club. L’intégrer, c’est aussi te faire partir de ton quartier : tu acquiers un bon cursus scolaire et ça te donne d’autres ambitions, dans le basket ou ailleurs.

 

Les blessures dans le sport de haut niveau – j’en ai eu beaucoup ! – font réfléchir à d’autres voies. En tout cas, j’ai toujours été bien soignée par les médecins, les kinés, les infirmières…

Ces métiers nécessitent de longues études, ils sont accessibles mais déjà un, tu ne devras rien lâcher et deux, tu devras souvent avoir un job à côté pour les financer.

C’est le cas de la plupart des jeunes avec lesquels je travaille. Il faut se battre.

 

Autre chose : dès que tu arrives dans une école, serre la main à tout le monde, souris à tout le monde. Pourquoi ? C’est ton futur réseau ! Parfois les jeunes me disent : ‘Oui mais je me sens exclu, je ne viens pas du même milieu, je suis noir, je sais que je ne vais pas faire de longues études.’ Va vers une personne qui t’intégrera, change peut-être ta façon de parler, montre que tu es là pour rester.

 

Et si on tombe on se relève. Avec des échecs, tu reviens plus fort et tu te donnes d’autres objectifs. Le travail paie toujours.

 

Parfois, c’est le job que tu fais pour financer tes études qui va te donner d’autres idées. J’étudiais en BTS Gestion sans grande conviction ; c’est en faisant de l’animation pour payer mes études que tout a changé.

J’ai découvert que j’étais capable d’encadrer les jeunes et j’ai compris que j’avais beaucoup à apporter comme femme noire d’origine malienne ayant fait du sport de haut niveau. À l’époque, une femme africaine ne faisait pas de sport, encore moins en short sur un terrain de basket.

 

C’est pourtant le lieu où j’ai l’impression d’être chez moi. J’entends une balle taper dans la rue ? Je me retourne pour voir qui joue sans moi ! Si plus tard ma santé le nécessite, j’irai faire du handisport. D’ailleurs, j’organise déjà des ateliers handisport dans les écoles avec l’association CAPSAAA.

 

J’ai toujours joué contre les garçons. À l’époque, on était juste une dizaine de filles sur tous les playgrounds de Paris. Je voulais atteindre le niveau en nationale 2 et je savais que c’était en m’entraînant le plus souvent possible que j’y parviendrais.

 

Il y avait les garçons qui t’aident à travailler : ils connaissent ton niveau, ta valeur, ils sont toujours là pour te motiver. D’autres étaient misogynes : ceux-là, tu ne pourras pas les changer. Au début, tu as envie de t’embrouiller puis tu te dis que de toute façon, tu vas gagner le match. Ils n’ont plus qu’à te regarder jouer ! Je répondais en jouant au basket, tout simplement.

 

Malgré tout, à chaque panier que je marquais, j’entendais que ma place était en cuisine ou à faire le ménage.

Alors j’adorais dire : ‘Déjà un, je plains ta sœur. Deux, écoute-moi bien : je vais te jeter un sort ! Tes deux premiers enfants seront des filles !’

Et ils ne savaient plus quoi dire, limite ‘Enlève ton sort ! Enlève ce que tu as dit !’

 

‘Non ! Je viens de te le dire et je te le redis : tu as lâché de telles conneries, je te promets que tes deux premiers enfants seront des filles !’ » 

Rencontre réalisée en juillet 2020