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Trouver un peu de bonheur

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Trouver un peu de bonheur

« Les femmes sont toujours enfermées chez elles. C’est difficile de les faire sortir de leur coquille. Ces pauvres innocentes ont quitté le pays directement pour Paris. Imaginez : avant, certaines n’avaient encore jamais vu un avion ou une voiture. Quand elles arrivent, elle ne savent rien d’ici.

Alors quand leurs enfants sortent, ils font n’importe quoi et quand ils rentrent à la maison, leur mère ne se rend compte de rien. »

Fatou a huit enfants âgés de seize à quarante ans. Les deux derniers sont nés à Paris. « Les autres sont restés au Sénégal. Je pouvais pas les emmener ici. Ma maman les a élevés. C’est une trèèèèèèès grande famille ! » me dit Fatou en riant.

« Beaucoup de mamans ne retournent pas en Afrique pendant dix ans ou quinze ans et leurs enfants ne connaissent rien de là-bas. Le billet coûte cher et une fois sur place, vous ne pouvez pas compter sur les gens : ce sont les gens qui comptent sur vous. Ils ne savent pas comment nous vivons ici et ne veulent pas comprendre, même quand je leur explique le loyer que je paie pour l’appartement.

Depuis que mon fils est allé au Sénégal, il me propose régulièrement de prendre ses vêtements devenus trop petits : je les lave, il les repasse et nous les envoyons au pays.

Il faut se battre pour surmonter les épreuves. Et même une petite goutte de joie nous suffit. Nous nous soutenons les uns les autres.

Avec mes voisines, nous avons créé un groupe de soutien pour les femmes. Nous faisons du porte-à-porte pour dire aux femmes qu’elles ont le droit de sortir, qu’il ne faut pas rester à la maison. Ça fait bientôt quatre ans que nous avons commencé, nous sommes plus d’une soixantaine maintenant. Tous les mois, on se rassemble, on discute, on danse. C’est l’occasion de partager les bons moments et les questions. »

Fatou me montre les papiers d’une autre association dont elle fait également partie : « C’est pour sensibiliser les jeunes contre la radicalisation. Une amie qui habitait boulevard Sérurier dans le 19e a perdu sa fille qui allait se marier. Un soir, elle est partie fêter son enterrement de vie de jeune fille. Elle était en terrasse avec ses amis.

Quand sa maman s’est levée le lendemain matin, sa fille n’était pas rentrée. Ses amis n’osaient rien dire, ils étaient tous à l’hôpital. Sa fille est décédée dans les attaques du 13 novembre 2015.

Donc vous voyez, ces choses-là, ça touche tout le monde. C’est pourquoi quand on confond les musulmans et les islamistes, ça me blesse un peu.

Les enfants utilisent internet et on ne peut pas dire non. Et beaucoup sont influencés par les discours qu’ils y trouvent. Mais je dis aux miens : “ Quand vous voyez ça, vous passez, vous ne regardez même pas ! ”

Il ne faut pas dire : “ Je vais cacher tout mon corps. ” Non ! On peut s’habiller comme on veut, l’essentiel, c’est le cœur. Dire que toi tu es musulman, l’autre est chrétien, tatati… Non ! C’est fini ! La paix ! On doit se respecter les uns les autres.

On essaie de surveiller les enfants. Pas un jour ne passe sans que je parle aux miens. Ma mère me disait toujours : “ Partout où tu habites, partout où tu vis, c’est chez toi. ” Et ça veut dire qu’il faut toujours respecter l’endroit où tu te trouves.

Nous les Africains on n’est pas venus ici pour avoir des problèmes. On a tellement souffert chez nous. On vient ici pour trouver un peu de bonheur.

On est plus de 500 personnes maintenant. Samedi dernier, on a loué une salle, on a fait à manger… L’année dernière on a fait une grande rupture de jeûne à Evry-Courcouronnes. Il y avait des juifs, des musulmans, des chrétiens, tout le monde ! On se connaît tous. »

Alfa, le fils de Fatou, a appris la trompette au centre socio-culturel Archipelia et intégré le projet DEMOS pendant trois ans à la Cité de la Musique. Il a participé à des concerts donnés à la salle Pleyel.

La fille de Fatou, Raby, est comédienne : « Parfois quand je m’énerve, elle dit rien mais elle écrit tout et le partage sur internet. Et tout le monde rigole. (Rire) Elle transforme ça en histoire où tout le monde se reconnaît un peu.

Rencontre en avril 2017