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Une chaîne de solidarité

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Une chaîne de solidarité

« Mon premier souvenir de Paris ? Le froid ! J’ai dormi dehors dans une tente avec mon copain et je faisais la manche. J’avais travaillé avant en Allemagne et en Italie, dans le tri et l’emballage, le ménage pour des personnes âgées… Je suis venue en France parce qu’ici, il y avait mon cousin. Il m’a dit : ‘Viens, tu vas trouver du travail’, et quand je suis venue, il m’a dit qu’il n’y en avait pas, et il est parti. »

Arrivée à Paris en février 2016, Monica travaille depuis l’été 2017 comme agent d’entretien à la Régie de Quartier du 19ème arrondissement, pour les parties communes d’immeubles et les voiries. « Je ramasse les papiers, je balaye les trottoirs, je nettoie les jardins. Là-bas en Roumanie, c’était très dur. Je suis fille unique, mais mes cousins que mes parents ont adoptés sont comme mes frères. Mon père a fait l’école pendant six ans et s’occupe de son frère handicapé. Il n’a pas un vrai métier : simplement quand les gens ont besoin de quelqu’un, il y va, pour faire le ménage par exemple. Et moi, même avec mon métier, c’est difficile là-bas de trouver du travail.

Ici, dans la rue, les personnes étaient très gentilles avec moi, jamais de problèmes. C’est très important de sourire, de parler, parce que sinon les gens pensent que tu as quelque chose contre eux. On m’a demandé : ‘Pourquoi tu travailles pas ?’ J’essayais d’expliquer : je sais faire le travail mais je connais pas la langue. Je sais pas parler, pas écrire, pas lire. Avant, je savais dire seulement ‘Bonjour Madame. Petite pièce, s’il vous plaît ?’

Au réveil, je rangeais ma tente dans mon sac ou quelqu’un la gardait pour moi. Le soir, je mangeais les légumes qui restaient après la fermeture du supermarché. J’allais aussi à la cantine Porte de La Villette qui aide les gens qui dorment dans la rue. »

Dans un français à la fois vivant et hésitant – une langue jamais apprise à l’école et qu’elle apprivoise depuis peu de temps -, Monica tient à me raconter la chaîne de solidarité autour d’elle.

« Après six mois dehors, une dame commence à me connaître. Elle me dit : ‘Si toi dehors, viens chez moi à la maison, c’est pas grave.’ Donc on a dormi chez elle. Elle m’a donné le sourire, elle m’a donné à manger, m’a donné tout.

J’ai dit : ‘Si vous m’aidez moi, je veux aussi vous aider.’ J’ai demandé : ‘C’est possible moi pour changer quelque chose ici chez vous ?’ Elle était d’accord, elle m’a expliqué ce qu’il ne fallait pas toucher. Et avec mon copain, on a fait une surprise : on a tout nettoyé ! L’appartement était propre grave ! Elle était très heureuse !

Dans la rue devant le supermarché, une dame me parlait doucement chaque jour un peu, elle faisait ses courses. Elle m’a demandé si je voulais du travail. Moi j’ai dit : ‘Oui, mais je sais pas parler français.’ Elle est éducatrice spécialisée, elle m’a accompagnée à l’assistante sociale ; et l’assistante sociale m’a trouvé du travail ! »

Après plusieurs allers-retours pour compléter un dossier désormais précieusement organisé et qu’elle me montre avec fierté, Monica commence à travailler à la Régie de Quartier. « C’est très important quand il y a des gens qui t’encouragent. Une fois que je travaille, c’est fini la manche ! À la Régie de Quartier, tout le monde, il est très gentil avec moi ! Si tu respectes les personnes, les personnes aussi te respectent. Si toi t’es pas gentille avec les gens, les gens aussi vont te faire la même chose.

La formation de français à la Régie de Quartier m’a aidé beaucoup. Voilà mon certificat, et l’attestation de compétences professionnelles comme agente de propreté. Si tu travailles bien, y a pas de problème. Depuis que je travaille à la Régie, jamais j’ai eu de réclamation avec les gens. Il est dur un peu mon travail mais jamais personne pour dire ‘Regarde ici, c’est sale.’ Jamais !

J’envoie de l’argent d’ici pour aider là-bas la famille. J’aime mes parents, ils m’ont aidée à grandir, m’ont donné l’école pendant huit ans, m’ont appris le respect, pas voler, pas faire du mal. Parfois au téléphone, ils font des choses rigolotes pour me faire rire. »

Monica et son ami habitent désormais dans un centre d’hébergement, en attente d’un logement. « Au début, je me réveillais tout le temps la nuit, j’avais peur parce que j’imaginais que j’étais dans la tente : tu fermes mais tu vois rien et des personnes peuvent venir te faire mal.

Maintenant c’est parti, j’ai oublié et je me dis ‘Dieu est avec nous’. Je dors tranquillement. »

Rencontre réalisée en mars 2019