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Franc-parler

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Franc-parler

« Mamie, on va méné-méné en bus ? » Pour la plus grande joie de son petit-fils, Marie-Claire l’emmène régulièrement faire un tour avec le 356. Toutes les marques des magasins qui défilent devant le bus sont fièrement et systématiquement épelées à voix haute par le garçon.

– Quand tu seras morte Mamie, tu me verras ? Parce que tu seras au ciel !

– Oui. Et dès que tu commenceras à faire une bêtise, tu sauras que je te regarde.

– Ah bon !… Et moi je te verrai ?

– Non, mais tu sauras que moi, je peux te voir !

« Pour son anniversaire, il a fait un vœu. Je lui ai dit qu’il devait le garder pour lui, pour que son souhait se réalise. ‘Quand même, j’ai envie de te le dire.’ Et il m’a expliqué que comme mon père et ma mère étaient morts, il voulait que je les retrouve au ciel.

Tout le monde dit : “ Ouiiii, la Plaine, la Plaine… ” mais moi, je partirai pas. Ma sœur habite en Mayenne : pour aller chercher le pain, elle doit faire 5 kilomètres ! Ici, je peux vieillir tranquille. »

Marie-Claire n’est pas en reste quand il s’agit de se rendre utile. Sa passion pour les brocantes est l’occasion d’équiper les voisins : chez l’un, le « micro-ondes nickel » chiné il y a quatre ans, chez l’autre un frigo et des plaques électriques comme neufs. « Ma gazinière, je l’ai payée trente euros. Le four n’avait jamais servi. C’est une Rosières, ça va faire dix ans, elle est toujours là… »

Mise en pension de cinq à quatorze ans chez les Sœurs Franciscaines puis les Sœurs Saint Vincent de Paul, Marie-Claire sait très tôt dénicher les bons plans : « Pour éviter la corvée de pluches le dimanche, j’allais aux trois messes avec le curé. Le jeudi – avant on avait le jeudi au lieu du mercredi – je faisais tout pour éviter le raccommodage des chaussettes. Tout ce qui est féminin, laisse tomber ! »

Son franc-parler se manifeste lui aussi assez tôt. Sa mère la retrouve un jour à la porte de l’école, seule avec ses draps et son bocal de poisson rouge dans les bras : les sœurs l’ont mise dehors. Marie-Claire n’avait pas aimé que le beurre remplace comme par hasard pendant les portes ouvertes la margarine quotidienne… Elle l’avait fait savoir.

« J’ai passé mon certificat d’études avec un coup de pied au cul et des agrafes sur la tête. Il l’a pas fait exprès : fallait voir le phénomène ! » Pas rancunière, Marie-Claire : le professeur l’avait pourtant envoyée la tête la première dans un radiateur en fonte.

« Les Sœurs Saint Vincent de Paul, elles ont été très chouettes avec nous : quand ma petite sœur Christiane est morte à 23 ans des suites d’un accouchement, elles étaient là. Et pourtant, on leur a pas fait la vie belle.

J’en voulais à ma mère de m’avoir mise en pension. C’est plus tard que j’ai compris. »

La mère de Marie-Claire, divorcée, se rendait chaque jour en mobylette de Fontenay-Saint-Père à Saint-Germain-en-Laye (45 kilomètres, qu’il pleuve ou qu’il vente) où « elle faisait les 3-8 » comme aide soignante dans une maternité. « C’était un monument, ma mère. Quand elle est décédée, tout le monde était là, même le directeur. 55 ans, cancer de l’utérus. Mon père : cancer de la prostate. Ils ont eu sept enfants dont cinq filles et deux garçons. Lui en a refait six de l’autre côté, et d’autres peut-être que je ne connais pas.

J’ai toujours cru que j’étais la plus malheureuse mais j’ai changé d’avis quand mon frère est revenu à pied de Bretagne.

– Comment ça, à pied ?

– A pied, je vous dis.

Si y en avait un là-haut, y aurait pas autant d’injustice. En tous cas, chacun a le droit de penser et faire ce qu’il veut. J’ai été mariée pendant sept ans avec un musulman. Il n’a jamais cherché à me convertir. Je l’ai simplement accompagné pour le Ramadan, par respect. »

Photographie : Matteo Pellegrinuzzi

Rencontre réalisée en novembre 2016