Sikou

Sikou vient d’une famille d’agriculteurs et de bergers. […] Sans jamais perdre patience, Sikou me précise plusieurs fois certaines de ses réponses. Arrivé en France en février 1994 – il se souvient particulièrement de la neige –, il résume ainsi sa connaissance du français de l’époque : «  Même “ viens manger ” je connaissais pas. Un ami dans un foyer m’a expliqué petit-à-petit. »

 

 

 

Sikou sortait alors de plusieurs années dans un camp de réfugiés au Sénégal : il avait dû fuir en 1990 à l’âge de 28 ans son pays natal la Mauritanie avec sa famille, laissant sur place tous les animaux : « Moi, je suis arrivé comme ça » m’explique-t-il en tirant sur son tshirt. « Le HCR a beaucoup aidé, y en a beaucoup donné tout. » Pourquoi ont-ils dû quitter la Mauritanie ? « Une histoire de couleur de peau. Le président a décrété que tous les noirs au Sénégal. »

 

Les années passent et sa famille s’y installe définitivement. Avec ses frères, Sikou a construit deux maisons de six et neuf chambres avec trois salons. Il envoie de l’argent chaque mois ; là-bas, un de ses fils vend habits, aliments et animaux au marché du village.

 

Tous les deux ans, Sikou part au Sénégal. La dernière fois, « catastrophe » : les règles en matière de visas avaient changé. A l’aéroport, il n’est pas autorisé à embarquer et perd ainsi 500 euros de billet d’avion. Informations erronées ou mal comprises ? Malgré ses démarches, un deuxième billet acheté fini aussi à la poubelle. Son dossier finalement complet, Sikou s’envole pour 990 euros et avec plusieurs jours de retard, auxquels il faut ajouter le trajet en voiture : « Tu arrives à Dakar à midi, tu es chez moi à cinq heures du matin. »

 

Sikou est en charge du ménage pour la résidence de la rue du Landy. Hormis une expérience dans le bâtiment avec des sacs de ciment de 25 kg sur le dos, le nettoyage est son métier depuis qu’il est en France : à La Poste, sur les quais et dans les rames de la ligne 4, dans le RER D et les trains au départ de la gare Saint-Lazare, dans le dépôt de Villeneuve-Saint-Georges, à l’aéroport de Roissy, dans une usine Lu, sur les salons professionnels à la Porte de Versailles…

 

En 2006, sur le conseil d’un ami, il dépose son CV chez ICF La Sablière ; Sikou est embauché. […] Avant de le laisser repartir travailler, je le retiens encore : moi qui ne suis jamais allée au Sénégal, qu’est-ce qui d’après lui me surprendrait le plus là-bas ? Son visage s’éclaircit : « Il y a beaucoup de forêt ! » Puis il me raconte une journée : «  A douze heures, les femmes mangent ensemble dans une grande marmite, et les hommes de leur côté. Ensuite on prend le thé. Là-bas comme il fait trop chaud, à partir d’avril, 40 degrés, on boit beaucoup. A partir de 17h00, on prépare le manger. Après, de 18h00 à 22h00, tout le monde regarde la télévision. » Tout le monde… Combien ? « Y a beaucoup de monde, quarante personnes, avec les voisins. »

 

Sikou rit en voyant ma tête et m’explique que son grand-frère a quatre femmes, qu’un autre en a deux. Et tout ce monde va se coucher, jusqu’à 6 heures du matin. « C’est une maison ouverte. »

 

Rencontre réalisée en novembre 2016

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