2024 : muscler notre attention

12 January 2024 | Les coulisses de ma ville Portrait

 

2024 : muscler notre attention

Sorry, this entry is only available in French.

Il a failli ne pas exister ! Son portrait dessiné plutôt qu’une photo de lui a incité Éric à participer – juste après l’envie de faire connaître autrement son métier.

Eric est conducteur de petits engins à la propreté de la Ville de Paris. Il a aussi été Casque bleu “mais ça n’intéressera personne !” m’a-t-il dit.

Mais si !

Parce que quand il parle d’attention à l’autre, Éric sait de quoi il parle…

En 2024, muscler notre attention, c’est ce que je nous souhaite. Pour des vraies rencontres, avec curiosité, bienveillance et respect.

Entre Éric et moi, je ne saurais vous dire qui est le plus heureux que son portrait existe.

Bonne lecture et bonne année à tous !

Christine Boulanger


Faire attention

Éric, conducteur de petits engins

« J’étais Casque bleu à Sarajevo en 1992. Quand j’ai vu ce qu’on faisait aux civils, j’aurais voulu pouvoir intervenir. Je me disais : “Attends, qu’est-ce que je fais là ?” À mon retour d’ex-Yougoslavie, j’étais en état de choc. J’ai tout plaqué. Ça m’a pris du temps pour parler de mon traumatisme.

Pourtant, c’est aussi là-bas que j’ai vu ce qu’est la fraternité.

Du simple officier au militaire de haut rang, on était tous unis comme les doigts de la main. On ne laissait jamais un camarade tout seul.

J’ai eu une enfance mouvementée et l’armée m’a fait grandir : discipline, cohésion. Je ne remercierai jamais assez cette institution. Alors en 2000, j’ai réintégré l’armée de terre comme sous-officier de réserve. Et quand j’ai postulé à la Propreté de Paris, j’étais content d’apprendre que j’étais autorisé à prendre 30 jours par an comme réserviste.

Je suis conducteur de petits engins – les laveuses, les aspiratrices, les véhicules pour les encombrants – dans les équipes Urgence propreté de la Ville de Paris, et je forme aussi mes collègues.

Le chef nous donne un plan de travail et vous pouvez aussi nous signaler avec l’application Dans ma rue toutes ces choses pas très appétissantes comme une déjection canine, de l’urine, du vomi, des animaux morts, des rats… »

Je me note de télécharger l’application en question.

« On peut tout vous signaler ?

– Alors pardon, je vais être un peu direct mais nous contacter pour un carton de pizza ou une boîte de conserve… ça, c’est complètement débile. J’ai voyagé en Allemagne, en Belgique, en Suisse : c’est propre, les gens sont disciplinés. Mais à Paris, c’est comme si on mettait tout par terre ! J’arrive au boulot, j’allume mon ordinateur et je vois une flopée de photos avec des : “Faudrait peut-être s’en occuper, il faut enlever ceci ou cela, il faut, il faut, il faut…”

– Il y a un bonjour, parfois ? 

– Oui oui, ça arrive.

– Et la conduite dans Paris, ça se passe comment ?

– On entend souvent les klaxons  : nos engins roulent à 25 km/h maximum. Mais avec l’expérience, on s’y fait. Là où ça se complique, c’est avec certains passants ou les vélos qui déboulent. Un accident est vite arrivé.



Disons par exemple que je suis en train de conduire la laveuse, et mon collègue nettoie avec la lance à eau. Il fait son boulot tout en essayant de ne pas arroser les gens. Et à l’École de la propreté, on lui a appris à toujours commencer depuis le mur pour enlever le plus gros, qui sera ensuite évacué par la balayeuse.



De mon côté, j’ai la machine à surveiller, les passants à regarder, et mon collègue derrière, même si on lui a aussi appris qu’il faut faire attention aux angles morts. Vous me suivez ?



Sur la machine, il y a une caméra, des bandes réfléchissantes, des clignotants, un gyrophare, et quand je fais une manœuvre, l’avertisseur sonore qui dit : “Attention ! Véhicule en approche.” C’est quand même un truc qu’on entend bien, comme le bip-bip quand je fais une marche arrière. Bon. Jusqu’ici, tout va bien.



Mais vous avez toujours un passant qui vient dans votre direction. Il voit qu’on est en train de travailler et qu’on arrose – quand il n’a pas le nez dans son téléphone – et normalement, s’il n’a pas envie de se faire mouiller et qu’il est pressé, soit il passe de l’autre côté, soit il traverse. Mais non ! J’ai beau le prévenir, le gars, il faut qu’il vienne ! Il doit y avoir une alchimie ou un gros aimant quelque part, allez savoir… Et le voilà qui s’énerve parce qu’on a arrosé ses petits pieds !



Des agressions, oui, il y en a dans notre métier. Mais je reste calme. Avec les persévérants, il faut laisser parler. Il y a aussi ceux qui nous remercient, le commerçant qui nous offre le café. Ça fait plaisir.



La propreté, c’est un métier noble. On se bat contre l’insalubrité, pour protéger la santé des personnes. Mais je n’ai pas besoin que nous soyons considérés comme des héros.



– C’est quoi, pour vous, un héros ?

– Un héros, comment vous dire… ça n’est pas forcément quelqu’un qui sauve une vie, mais si on va au plus simple, c’est quelqu’un qui fait attention. Et ça, c’est déjà bien.

On est tous des héros, si on regarde vraiment. Parce que la vie n’est pas facile tous les jours. Alors un petit bonjour, un sourire, et moi, ma journée, elle est ensoleillée. Sinon, pardon, je vais être un peu cru, mais à force de faire la gueule, on finit par faire la guerre. »

Plus d’informations sur “Les coulisses de ma ville”

Others articles

Témoignages autour du projet « Les coulisses de ma ville »
Exposition